Lien de subordination : le trio gagnant «direction-contrôle-sanction » résiste à l’ubérisation.

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Dépasser une indépendance fictive

Dans son arrêt du 4 mars 2020 (19-13.316), la Chambre sociale de la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel de Paris d’avoir requalifié en contrat de travail la prestation de services entre un chauffeur VTC et la société Uber BV.

Rappelons que les dispositions de l’article L.8221-6 du Code du travail selon lesquelles les personnes physiques, dont l’exécution de l’activité donne lieu à immatriculation sur certains registres ou répertoires énumérés aux termes de ce texte, sont présumées ne pas être liées avec le donneur d’ordre par un contrat de travail. Cette présomption simple peut néanmoins être renversée lorsque ces personnes « fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ».

C’est alors au juge qu’il revient de qualifier la relation entre les parties indépendamment de la volonté qu’elles ont pu exprimer ou de la dénomination donnée à leurs conventions.

Ici, la requalification en contrat de travail prononcée par la Cour d’appel de Paris reposait à la fois sur le fait que le statut de travailleur indépendant du chauffeur VTC était fictif et sur le fait que la société Uber BV lui avait adressé des directives (choix d’itinéraire, comportement dicté par règles fondamentales Uber), en avait contrôlé l’exécution (correction du tarif en cas d’itinéraire inefficace, acceptation des courses, géolocalisation) et avait exercé un pouvoir de sanction (désactivation du compte).

Ce faisant, la Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, était allée au-delà de la définition traditionnelle du lien de subordination pour caractériser l’existence d’un contrat de travail puisqu’elle y a ajouté des indices qui démontraient que l’indépendance du chauffeur n’était que fictive.

Le travail indépendant se définit, en particulier, par la possibilité de se constituer une clientèle propre, la liberté de fixer ses tarifs, la liberté de fixer les conditions d’exécution de la prestation de service.

Or, dans les faits de l’arrêt précité, l’indépendance du chauffeur a été jugée factice dès lors qu’il était constaté son intégration dans un service de prestation crée et entièrement organisé par la société Uber BV (dont l’existence était intrinsèquement liée à la plateforme) : dans ce cadre prédéfini, il a été constaté qu’il ne pouvait pas se constituer de clientèle propre, ni fixer ses tarifs, ni même décider des conditions d’exercice de sa prestation.

Ainsi, le rôle de la plateforme ne se limitait pas un strict service d’intermédiation grâce auquel le travailleur indépendant pouvait exercer son activité professionnelle (préexistante) : selon les Juges elle constitue  un service global et plus structurant, i.e. à une opération économique pré-organisée qui recourt aux services d’un travailleur indépendant pour assurer l’exécution des services proposés aux consommateurs.

Un régime incertain pour les travailleurs des plateformes

Pour tenter d’apporter une réponse à ces nouveaux modèles économiques et offrir une protection minimale à ces travailleurs, le législateur a introduit, dans le Code du travail, des dispositions spécifiques aux travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique (Septième partie, Livre III, Titre IV du Code du travail – articles L.7341-1 et suivants).

En réalité, cette évolution nous semble très restrictive puisque ces dispositions ne sont applicables qu’aux travailleurs en lien avec des plateformes définis à l’article L. 7341-1 et exerçant l’une des activités suivantes :

1° Conduite d’une voiture de transport avec chauffeur ;

2° Livraison de marchandises au moyen d’un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non.

La disruption des activités offertes désormais sous forme de plateforme couvre bien d’autres offres de services qui ne sont donc pas couvertes par ce régime.

En outre, si le législateur a instauré une responsabilité sociale à l’égard des travailleurs mentionnés à l’article L. 7342-8, celle-ci reste très théorique puisque la charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de la responsabilité sociale de la plateforme, définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation est un document facultatif et unilatéral (article L. 7342-9 du Code du travail).

Ce statut spécifique des travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique aurait pu connaitre un autre essor si le Conseil constitutionnel n’avait pas déclaré contraire à la Constitution la disposition selon laquelle « lorsqu’elle est homologuée, l’établissement de la Charte ne peut caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs » (Décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019).

La charte sociale est dès lors un simple document interne qui ne lie pas le Juge et qui ne fera donc pas obstacle à la possibilité d’obtenir, selon les circonstances réelles d’exécution de la prestation, la requalification du prétendu travailleur indépendant en salarié.

Le pouvoir d’appréciation et de requalification des juges est préservé !

Caroline AUTRET, avocate, Pôle Droit social PARTHEMA.