Loyers binaires des centres commerciaux : retour au prix de marché ?

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Quelle articulation entre loyer binaire et valeur locative lors du renouvellement ?

Le principe : un loyer hors marché

Les loyers commerciaux binaires ( ou « clause-recettes »), très présents en centres commerciaux, sont composés d’un loyer minimum fixe/loyer minimum garanti (souvent indexé) et d’un loyer variable additionnel calculé sur la base du chiffre d’affaires du preneur.

Le statut des baux commerciaux prévoit que « le montant des loyers des baux à renouveler ou à réviser doit correspondre à la valeur locative » sous réserve d’un éventuel plafonnement. A défaut d’accord, le loyer est fixé par le juge des loyers commerciaux. Par exception, la jurisprudence (Cass.Civ. 3e, 10 mars 1993, n° 91-13.418, jurisprudence dite du « Théâtre Saint-Georges ») considère que les loyers binaires échappent à ces règles de fixation judiciaire du loyer de renouvellement.

L’idée de cette jurisprudence est qu’en adoptant un loyer binaire les parties ont entendu déroger au mécanisme de fixation à la valeur locative prévue par le code de commerce. Le loyer de base ne peut alors jamais varier (sous réserve d’une éventuelle clause d’indexation de plein droit).

L’exception : un loyer au prix de marché

Quid, cependant, lorsque les parties sont convenues, par une clause du contrat de bail,  non seulement d’un loyer binaire mais en outre d’une fixation du loyer minimum fixe/loyer minimum garanti à la valeur locative lors du renouvellement ?

Les cours d’appel de Limoges et d’Aix-en-Provence, auxquels il était demandé de fixer la composante de loyer minimum fixe de renouvellement d’un loyer binaire en présence d’un bail énonçant que ce loyer devrait fixé à la valeur locative par le juge des loyers  commerciaux, ont récemment refusé d’exercer ce pouvoir en se retranchant derrière la jurisprudence dite du Théâtre Saint-Georges.

Pourtant, la jurisprudence Théâtre Saint-Georges précitée reposait incontestablement sur l’idée que les parties avaient implicitement mais nécessairement entendu déroger aux règles du statut relatives à la fixation du loyer du bail renouvelé.

La Cour de cassation vient de trancher cette question : aux termes de deux arrêts de principe du 3 novembre 2016 destinés à une large publicité (FS-P+B+R+I), la troisième chambre civile énonce :

« Vu l’article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, ensemble l’article L. 145-33 du code de commerce ;

 Attendu que la stipulation selon laquelle le loyer d’un bail commercial est composé d’un loyer minimum et d’un loyer calculé sur la base du chiffre d‘affaires du preneur n’interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux pour fixer, lors du renouvellement, le minimum garanti à la valeur locative ; que le juge statue alors selon les critères de l’article L. 145-33 précité, notamment au regard de l’obligation contractuelle du preneur de verser, en sus du minimum garanti, une part variable, en appréciant l’abattement qui en découle ».

(Cass. Civ. 3e, 3 nov. 2016, FS-P+B+R+I, n° 15-16.826 ; Civ. 3e, 3 nov. 2016, FS-P+B+R+I, n° 15-16.827)

Le loyer loyer minimum fixe/loyer minimum garanti doit donc bien être fixé à la valeur locative, c’est-à-dire (schématiquement) au prix du marché.

Restent deux inconnues.

 

  1. Quid des baux (très nombreux) énonçant que le loyer de renouvellement doit être fixé à la valeur locative mais qui ne prévoient pas expressément la compétence du juge des loyers commerciaux ?

Une lecture littérale des arrêts du 3 novembre commanderait probablement l’exclusion du recours au juge (donc le maintien du loyer en l’état) puisque ces arrêts énoncent que le loyer binaire « n’interdit pas, lorsque le contrat le prévoit, de recourir au juge des loyers commerciaux ».

Mais la question reste ouverte puisque :

–           d’une part, la Cour de Cassation n’indique pas que le contrat de bail doit comporter une clause expresse d’attribution de compétence au Juge des loyers commerciaux ;

–           d’autre part, le visa contractuel de la fixation à la valeur locative semble  nécessairement, quoique implicitement, emporter la volonté de recourir au juge.

–           enfin, les arrêts de 1993 et 2016 semblent reposer sur l’idée que la volonté des parties doit primer.

Avis aux plaideurs…et aux rédacteurs d’actes.

 

  1. Que veut réellement dire la cour lorsqu’elle indique, à la surprise générale, que « le juge statue alors selon les critères de l’article L. 145-33 précité, notamment au regard de l’obligation contractuelle du preneur de verser, en sus du minimum garanti, une part variable, en appréciant l’abattement qui en découle» ?

Il s’agit probablement  de diminuer le loyer fixe à due concurrence du « supplément de loyer »  lié à la partie variable.

Il est permis de ne pas adhérer à ce raisonnement. L‘article L. 145-33 commande certes d’évaluer la valeur locative au regard, notamment,  des « obligations respectives des parties » (donc de l’impact de certaines clauses, par exemple le transfert de la charge de la taxe foncière). Mais, en matière de loyer binaire, l’accord des parties a justement pour objet de fixer la composante fixe à la valeur de marché indépendamment de toute référence à un loyer variable.  C’est donc qu’il déroge à la définition de l’article L. 145-33.

En somme, la cour semble nous enseigner  que l’option pour la valeur locative  n’est pas à la carte. On peut y revenir dans le cadre d’un loyer binaire. Mais c’est alors toute la valeur locative et rien que la valeur locative.

Jean-Philippe RIOU

BAUX COMMERCIAUX – PARTHEMA